LA GRÈCE : PORTE D’ENTRÉE DÉROBÉE DE LA CHINE EN EUROPE. QUEL RÔLE POUR LE TOURISME?

Pendant l’époque dorée de l’ouverture de la Chine aux entreprises étrangères, une scène devenue familière se déroulait sur les plateaux télés et radios : le PDG d’un grand groupe français X ou Y, expliquait doctement et avec enthousiasme que les chinois, figurez-vous, utilisent le même mot pour dire “crise” et “opportunité”!
La conquête du marché chinois vendait en effet des rêves de croissances quasi infinies alors que l’Europe entreprenait de dévaler la pente du déclinisme.
Halte à la morosité ambiante. Toute crise porte en elle les germes du succès pour ceux qui savent s’en saisir et ne pas baisser les bras.
La responsabilité de cette erreur revient a J.F. Kennedy qui l’a popularisée lors d’un discours en 1959. Le mot en question est “危机”. Écrit Weiji et prononcé “ou-eï-tsi”, il n’est en aucun cas traduisible par “crisortunité”.
Il comprend simplement les caractères 危 “wei” signifiant danger et 机 “ji” dont une des significations est en effet opportunité mais dont le rôle est ici de signifier l’événement en tant que structure abstraite.
Nicolas Hulot avait lui aussi tenté d’expliquer il y a quelques années sur les ondes de France Inter le pouvoir conceptuel de la “crisortunité” en requérant l’approbation d’une présentatrice originaire de Hong Kong.
“Heu… Oui peut-être je ne sais pas trop, je parle cantonnais...”. Évitant au futur ministre de l’écologie de perdre la face. La face étant elle une notion bien réelle en Chine.
Aujourd’hui la période dorée est terminée et les espoirs de nos PDG ont été si ce n’est douchés, du moins fortement remis en perspective.
Carrefour vient de quitter la Chine, n’ayant pas su s’adapter aux demandes de traçabilité (via la blockchain) des produits par le consommateur chinois ainsi qu’à la rude concurrence chinoise et américaine.
Mais c’est bien de crise dont nous voulons parler ici et plus particulièrement de celle de la Grèce où l’on voit que les crises des uns peuvent être les opportunités des autres.

  • HEUREUX QUI COMME ULYSSE POSSÈDE UN GOLDEN VISA
L’Union Européenne n’ayant pas à proprement parler “sauvé” la Grèce, le petit pays, essoré et sans vraies perspectives de remontada, dut faire avec les moyens du bord et les assets restants.
Que vendre, que brader? En 2013 la Grèce met en place un programme de cash contre permis de résidence. C’est le programme Golden Visa.
Le site du ministère de l’immigration grec en dit :
Moreover, it allows the granting of residence permits to third country nationals and to members of their families, who purchase real estate property in Greece, the value of which exceeds € 250,000.”
En d’autres termes la Grèce dut aussi mettre en vente des droits.
Depuis 2013 environ 14 000 personnes ont profité de cette affaire en or et parmi ces heureux nouveaux Grecs se trouvent deux tiers de Chinois. Les Chinois ont en effet été mis au parfum de la bonne affaire par la communauté déjà établie en Grèce notamment à Metaxourgeío dans la banlieue pauvre d’Athènes.
Les autres acheteurs furent principalement turcs et russes. La majorité des investissement immobilier furent réalisés dans la région touristique attique.
L’investissement est ensuite très facilement rentabilisé via la location par Airbnb ou d’autres plateformes, cela ayant évidemment pour effet une hausse des prix de l’immobilier et du nombre de touristes.
Cette politique des golden visas ainsi que les autres efforts des grecs pour remonter la pente ont néanmoins payé sur le plan du tourisme. 32 millions de visiteurs se sont rendus sur les îles grecques en 2018 alors qu’ils n’étaient qu’une quinzaine de millions en 2011. Un emploi sur cinq en Grèce dépend directement du secteur touristique.
Plus globalement la Grèce a atteint une croissance de 1,9% en 2018, accompagnée d’une hausse de la consommation privée (avec une TVA à 24%). Ce rythme devrait se maintenir cette année mais est toutefois inférieur aux prévisions de l’union européenne qui table sur 2,2% pour 2019.

  • LES TOURISTES CHINOIS DANS LA PRATIQUE
Il peut être difficile pour les autorités grecques de comptabiliser les touristes en provenance de Chine car ceux-ci font généralement un séjour marathon sur plusieurs pays européens et utilisent donc un visa délivré par un autre pays de l’UE.
Les touristes chinois se rendant en terres helléniques sont avant tout en recherche d’un cadre culturel riche, écrin parfait pour le shopping de luxe, les cérémonies de mariage, les lunes de miels et les classique visites groupées au pas de course. Santorini, Crète, mais aussi sites archéologiques sont donc très prisés.
Ce succès de la destination grecque fait naître de plus grandes ambitions et l’organisation nationale du tourisme grecque prévoit pour 2019 de grands investissements publicitaires sur les OTA et autres plateformes les plus populaires en Chine ainsi que l’organisation de festivals de la culture grecque dans plusieurs grandes villes chinoises.
D’un point de vue pratique le logement n’est pas forcément situé en centre ville d’Athènes étant donné la prolongation récente des lignes de métro vers la périphérie. Le trajet banlieue-centre ne prend que trente minutes et les zones éloignées du centre ont l’avantage d’être plus proches de la mer.
L’inconvénient de compter sur les transports publics reste la fréquence des grèves, dont les plus importantes ont été, ironiquement, déclenchées par le rachat de deux des trois terminaux du port du Pirée par Cosco Shipping.
Après avoir été échaudé par des transports publics parfois en grève et un réseau routier chaotique, le touriste chinois pourra également expérimenter la prévalence et le talent des nombreux pickpockets (taux de chômage des jeunes : 65%) et des prix parfois plus élevés que ce que l’on peut espérer en raison notamment des hausses de taxes prélevées par l’État pour renflouer les caisses.

  • LA CHINE ÉTEND SON INFLUENCE MARITIME
Loin d’en avoir fini avec la crise, la Grèce semble pourtant se remettre lentement et affiche une croissance encourageante. Une croissance qui est malheureusement en grande partie basée sur de la dette. Cette artificialité ne scandalisera pas la banque centrale européenne mais l’optimisme qu’elle déclenche doit être relativisé.
La structure de l’économie grecque est tout autant, si ce n’est plus, bancale aujourd’hui qu’elle ne l’était avant la crise. Elle est donc particulièrement vulnérable aux appétits étrangers d’autant plus que ses faiblesses dépendent d’une mauvaise organisation et non d’un manque de potentiel.
Un œil averti saura repérer ce potentiel et s’en saisir le cas échéant. L’Union Européenne ne jouant pas ici le rôle de protecteur que l’on pourrait attendre d’elle.
La Macédoine, pourtant europhile, en a fait l’expérience lorsqu’en pleine négociations avec des groupes chinois pour la réalisation d’infrastructures de transport, elle s’entendit répondre par l’UE qu’il ne fallait pas espérer aides ou conseils de sa part dans l’immédiat car le Bundestag (!) était trop occupé.
Le potentiel donc, est celui de faire de la Grèce une plaque tournante des exportations chinoises vers l’Europe, le Moyen Orient, l’Afrique du nord.
Les investissements dans le pays ne sont pourtant pas une promenade de santé pour Cosco et certaines de ses ambitions sont bloquées pour motifs de protection de sites archéologiques. Cela ne remet néanmoins aucunement en cause les besoins en IDE chinois comme l’a récemment rappelé le gouvernement grec.
Pourtant la RPC dispose dorénavant de cette porte vers des mers dont elle était totalement absente il y a peu. De 0,66 million de conteneurs accueillis en 2009, le Pirée est passé à 4,9 millions en 2019.
Tout cela avec un taux de contrôle théoriques des marchandises extrêmement bas. (Ce qui n’est pas du fait des Grecs ou des Chinois, le taux étant par exemple de 0,6% à Rotterdam).

    Ulysse et les sirènes, Picasso

    • L’ÉTONNANTE DOUBLE LOGIQUE DES INVESTISSEMENTS CHINOIS

    Un point rarement évoqué est celui de la double dynamique des investissements chinois. L’Etat chinois n’est pas le seul à investir en Grèce, il a été précédé en cela par de nombreux investisseurs privés, grands ou moins grands.
    Ces investisseurs chinois qui placent leurs billes en Europe le font principalement pour faire sortir leur capitaux de Chine et ainsi les sécuriser contre à la fois la rapacité prévaricatrice du Parti et les doutes profonds sur l’avenir de l’économie chinoise.
    Le Parti, conscient que la fuite des capitaux représente un danger pour son autorité et sa légitimité, se doit de réagir avec intelligence.
    Là où les capitaux chinois fuient le Parti, ce dernier tentera d’exporter son influence. Le pouvoir de Pékin sur ses propres citoyens n’est pas limité au territoire national et n’a pas vocation à l’être.
    Là où l’on décèle une ambition géopolitique du Parti se trouve en creux le jeu du chat et de la souris que se livrent le contribuable chinois et le Parti unique.
    Ces deux dynamiques de fuites des capitaux et d’extension de l’influence chinoise se nourrissent l’une de l’autre dans un paradoxe typiquement chinois.

    • LE FUTUR DE L’ODYSSÉE CHINOISE

    En Grèce, pour Pékin comme pour Ulysse, les ports sont des ouvertures vers de grandes aventures, de nouvelles découvertes et des gains faramineux. La Chine a ainsi acquis via le Pirée une porte d’entrée sur la Méditerranée et une nouvelle influence sur sa propre diaspora
    Comme la crise des missiles US en Corée du sud l’a montré, la Chine sait utiliser son tourisme comme un instrument d’influence géopolitique. Qu’adviendra-t-il de l’immense masse commerciale du tourisme chinois en Europe lorsque des tensions plus fortes entre RPC et UE apparaîtront?
    Quelle influence le rachat du Pirée aura-t-il sur les salaires du Havre par exemple.
    Enfin ne soyons pas trop sévère avec nos PDG à la sinophilie soudaine. La pensée chinoise fait en effet la part belle aux dualités paradoxales. Voir par exemple le concept de « défense active » qui guide la montée en puissance de l’APL.

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