La Chine et la Russie utilisent le tourisme pour conquérir les Balkans





Six trilliards de dollars, c’est la somme totale que génère l’industrie du tourisme chaque année. Je vous laisse faire le compte du nombre de zéros dans : 6 000 000 000 000 000 000 000 $.



Si ce montant astronomique peut faire réfléchir les lecteurs de ce blog, il ne laisse évidemment pas non plus indifférentes les deux grandes puissances renaissantes de notre époque, la Chine et la Russie.


Une personne sur 11 dans le monde est employée par l’industrie du tourisme avec de forts potentiels de croissance dans les pays les moins développés.


Cette industrie qui repose sur le loisir ne suscite encore que trop peu l’intérêt des chercheurs en géopolitique. Pourtant Deng Xiaoping lui-même déclarait que le tourisme serait un levier crucial pour élever la Chine au rang des nations les plus puissantes.




Les Balkans, sujet du présent article, sont-ils un flanc de l’Europe vulnérable aux stratégies d’influence de nos amis russes et chinois ?


La Croatie étant déjà un “hotspot” du tourisme mondial, intéressons-nous ici à des destinations moins réputées.



Commençons par l’ours russe.




La Russie dispose tout d’abord d’autres leviers d’influence dans les Balkans. En premier lieu desquels se trouvent la foi orthodoxe et l’identité slave, dont Vladimir Poutine est parfois présenté par certains media russe comme le seul vrai défenseur.


Et cela dans une région où ces deux facteurs ont un impact sur la société bien plus important que ce que l’on peut imaginer en France.


Foi religieuse et identité ethnique sont des notions imprimées chez les peuples des Balkans dont l’Histoire est marquée par les invasions ottomanes ou soviétiques et les conflits inter-ethniques.


Pourtant c’est sur le secteur du tourisme que La Russie de Vladimir Poutine axe une grande partie de ses efforts.


Prenons le cas du Monténégro. 30% du PIB monténégrin provenait des IDE russes en 2016, concentrés principalement sur les secteurs de la métallurgie et des services.


L’immobilier est également un point d’entrée pour les capitaux russes et 700 000 propriétés appartiennent à des ressortissants russes.




Le tourisme représente quant à lui 20% du PIB du Monténégro avec la Russie en tête des pays sources. De plus en plus de touristes russes sont attirés par ce petit pays. L’été 2019 a ainsi vu leur nombre augmenter.


Les russes préfèrent s’y rendre en été pour profiter de ses magnifiques paysages à mi-chemin entre la Grèce et la Riviera italienne.




Pour les attirer le Monténégro met l’accent sur l’absence de foule envahissante. Un point positif pour de nombreux russes qui d’ailleurs préfèrent souvent voyager seuls.


Selon l’organisation nationale du tourisme monténégrine, leur nombre à doublé depuis les années 2010.


Les russes sont déjà très présents à Budva, ville côtière réputée et les agences touristiques russes ambitionnent un développement vers les villes moins connues de Bar, Herceg Novi ou Kotor.


Dès mars le nombre de liaisons aériennes entre Moscou, Saint-Pétersbourg et le Monténégro sera augmenté avec un pic estival.


Ils sont en outre bien plus dépensier que leurs homologues serbes, bosniaques ou ukrainiens avec en moyenne 104 euros par jour et par personne.



Comment cette croissance du tourisme s’inscrit-elle dans le jeu géopolitique?





Depuis la crise ukrainienne de 2014, Moscou est en froid avec le Monténégro car celui-ci a voté les sanctions occidentales de représailles. Le Monténégro fait en outre partie de l’OTAN.


Des rumeurs relayées par les media du pays ont même fait état en 2017 d’un projet de coup d’état fomenté par la Russie contre le premier ministre Milo Djukanovic.


Ce niveau de tension élevé n’a au début pas fait baisser le nombre de touristes russes au Monténégro qui représentent près de 30% des visiteurs.


Mais la même année, les media russes ont lancé une campagne de dénigrement contre le Monténégro, le présentant comme un pays peu sûr avec un fort taux de criminalité.


Une baisse relativement faible et passagère du nombre de touristes russes s’ensuivit.


L’effet ne fut pas particulièrement dommageable mais l’avertissement fut clair.


La Russie utilise donc la manipulation de ses propres flux de touristes comme d’un instrument de rétorsion géopolitique.


Le Monténégro se retrouve dépendant des flux de touristes russes sans disposer de possibilités de négocier. Si le Kremlin décide que les russes n’iront plus en vacance au Monténégro ils iront ailleurs tout simplement.


La Russie joue ainsi un jeu dont la Chine est déjà familière en Asie




Observons maintenant le jeu de la Chine dans les Balkans





Si le Monténégro est la chasse gardée de la Russie, la Chine elle concentre une partie de ses efforts vers la Serbie depuis 2017.


2019 fut l’année de l’explosion du nombre de touristes chinois en Serbie. Ils sont ainsi près de cent mille à s’y être rendu. Attirés par l’exemption de visa, l’image positive de la Serbie dans les media chinois et la faible coût de la vie.


Belgrade joue le jeu à fond et accueille même des agents de police chinois sensés améliorer la sécurité des ressortissants sur place.


Avec un taux de chômage de 13% (plus faible que ses voisins) la Serbie voient d’un très bon œil cette manne financière pouvant profiter aux populations peu qualifiées.


Le tourisme représente dans ce pays seulement 3% de l’économie. Il offre ainsi un grand potentiel de croissance.


Les touristes chinois recherchent avant-tout en Serbie une coloration “authentique” à leur séjour. Ils y prennent part à des reconstitutions traditionnelles telles que “l’enlèvement d’épouse”. Une activité que peu de destinations dans le monde peuvent proposer...



Quel impact sur l’Union Européenne?






Inspirés par l’exemple serbe, le Monténégro et la Bosnie ont elles aussi modifier leurs procédures de visa pour attirer les touristes chinois.


Comme avec la Russie, la Chine obtient via le tourisme un levier d’influence supplémentaire sur des pays membres de l’U.E.


La Chine est ainsi en lice pour construire le métro de la capitale serbe et entre en concurrence avec la France, elle aussi sur les rails.


La Chine offre avec son flux de touristes un manne économique qui fluidifie les relations et encourage la Serbie à voir d’un œil favorable les offres chinoises dans le secteur industriel.



Mais que se passe t-il lorsque les relations politiques se tendent? L’exemple coréen rappel que la Chine sait utiliser le bâton aussi bien que la carotte.




Si elle ne se montre pas aussi agressive avec Europe qu’elle l’est avec ses voisins asiatiques, on ne peut que s’attendre à un changement de ton suivant l’évolution des rapports de force.


La Chine dispose déjà d’une histoire commune avec les Balkans. Tito visita la Chine en 1977, Hua Guofeng la Yougoslavie en 1978.


On se souvient également du bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade par l’OTAN en 1999.


Les bonnes relations entre la Chine et les Balkans durèrent jusqu’aux années 2000. Une fois la Yougoslavie désintégrée, les Balkans suivirent une ligne dictée par une U.E. atlantiste.


Les liens autant humains qu’économiques sino-balkaniques faiblirent mais ne disparurent pas et la nouvelle relation qui se met en place sous nos yeux repose aussi sur ces bases concrètes, vestige de l’époque des “non-alignés”.


La Chine peut d’ailleurs se targuer d’être à la fois un pays communiste et un opposant à Moscou pendant l’ère soviétique. Double pouvoir d’attraction pour les Balkans.


Qu’en est-il à ce titre de la relation sino-russe dans la région?



Chine et Russie coopèrent-elles dans les Balkans?





Tout d’abord, un “conseil de coopération économique” a été créé en Serbie avec pour mission de coordonner et d’encourager les investissements chinois et russes.


Pourtant chinois et russes semblent plus faire figures de concurrents dans la région.


La Russie utilise le secteur de l’énergie comme vecteur principal de son influence. Un secteur sur lequel lorgne la Chine qui a racheté en Albanie les droits d’exploitation pétrolière possédés auparavant par la compagnie canadienne Bankers.


Comme expliqué dans de précédents articles, la Chine a également fait des Balkans une étape clé de la nouvelle route de la soie.


Les investissements chinois dans les infrastructures de ces pays se sont multipliés ces dernières années. 


Enfin la Chine se présente encore une fois comme un acteur neutre dans la région. Elle utilise la même approche que pour son implantation sur le continent africain en exploitant les mémoires encore frictionnelles entre anciens pays dominateurs dominés. 


Ce faisant elle met implicitement en cause la Russie pour ses agissements de l’ère soviétique et rend plus compliquée les stratégies d’influence russes. 


Chinois et russes semblent donc ne mettre de côté qu’une partie de leurs divergences dans le cadre de cette nouvelle conquête des Balkans. 

Ils demeurent des rivaux sur de nombreux points tant sur le plan politique qu’économique.

Pour terminer, précisons que cet article laisse de côté la question de l’influence turque qui est elle aussi renaissante dans les Balkans.


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