Le tourisme, outil de l'expansion chinoise vers l'Arctique


L’Arctique se réchauffe et la tension monte

La sécurisation de l’approvisionnement en ressources naturelles étant un des objectifs principaux de la Chine, il est tout naturel qu’on la retrouve fortement investie dans une région, l’Arctique, qui réunit selon les estimations 30% des réserves en gaz et 13% des réserves en pétrole. Des ressources dont le caractère stratégique outrepasse les coûts, aujourd’hui encore trop élevés, de leur exploitation.
L’ambition arctique chinoise a ainsi été formalisée dans un récent livre blanc, disponible ici, qui dessine les contours d’une “route de la soie arctique”.
A ce jour le point d’entrée de la Chine vers l’Arctique reste contrôlé par le voisin russe. Le projet Yamal (ou Yamal Liquified Natural Gas) qui est le projet le plus avancé est ainsi sous pavillon russe bien que financé pour une grande partie par la Chine. Elle espère en tirer 195 milliards de mètres cubes de gaz par an.
 Sous les glaces, le profit. Mais ces profits en principe faramineux ne seront disponibles que lorsque les technologies de forage ou de transport seront en mesure de le faire à grande échelle. A ce titre la Russie dispose d’une avance évidente mais la chute de l’URSS a entraînée la perte de nombreuses technique de pointe en la matière. De forts investissements en recherche et développement sont donc requis. La hausse du CO2 ne peut pas se suffire à elle-même.
L’Arctique, ses ours, ses pingouins et son absence totale de piraterie offre une autre source de profits potentiels. Encore une fois ces profits seront tout autant commerciaux que stratégiques. En effet trois nouvelles routes s’ouvrent à la navigation entre la Chine et l’Europe.  
Le passage du Nord-ouest et celui du Nord-est offrent des alternatives plus sûres et plus rapides pour les tankers. On parle ici de gains de plusieurs semaines. Vient ensuite la route transpolaire qui coupe à travers l’Arctique vers les eaux internationales. Cette dernière route est la plus difficile à exploiter.
 La distance entre le nord de l’Europe et la Chine via l’Arctique est 40% plus courte que via le canal de Suez et 60% plus courte que via le Cap de Bonne Espérance.
 Le potentiel de croissance du grand nord repose également sur “l’économie bleue”; poissons, biotechnologies marines, surveillance des eaux, énergies dites renouvelables etc.
N’oublions pas non plus que la domination géostratégique américaine repose en grande partie sur la supériorité de sa marine militaire. Mais la Chine rêve sa propre domination loin du Cap de Bonne Espérance. Elle se voit ici offertes des eaux dénuées de toute domination US (les nouvelles routes font parties de la zone économique exclusive de la fédération de Russie). Beaucoup ont rit quand Donald Trump a évoqué l’idée d’”acheter” le Groenland. Il s'agissait de toute évidence d'une réponse américaine à l'alliance arctique sino-russe. 
 La fonte de l’Arctique semble bien être le “game changer” du début du siècle. La Chine si elle veut retrouver son rang se doit de démontrer ses capacités de projection (global reach). Projection financière, commerciale et demain militaire? Intéressons-nous d’abord à sa projection “touristique”.
 Les chinois sont de plus en plus nombreux à visiter les régions nordiques dans leur ensemble.
 Alors que la route de la soie “classique” (one belt one road) s’accompagne dans les régions concernées d’une augmentation du nombre de touristes chinois, qu’il existe plusieurs précédents de “coercition par le tourisme” de la part de la RPC (contre la Corée du sud), la preuve que le tourisme est un instrument d’influence globale n’est plus à faire.
 La logique géopolitique rejoint ici les évolutions du marché du tourisme en Chine. De plus en plus de touristes chinois choisissent en effet des destinations exotiques ou “extrêmes” pour leurs vacances. On parle souvent de l’importance en Chine d’en mettre plein la vue à son cercle d’amis avec les photos de son dernier voyage. Mais l’Europe, les USA c’est vu et revu. On ne voyage pas pour prendre du bon temps dans son lieu de villégiature habituel.
 Le touriste chinois, s’il veut atteindre le top de ce que les vacances peuvent offrir en terme de prestige social, se doit d’être un “world traveler”. La dernière mode en la matière ce sont les aurores boréales. Entre 25 et 50% des voyageurs du grand nord sont aujourd’hui des chinois.
 On peut trouver dès lors les débuts des vagues d’investissements chinois puisque le tour opérateur Fliggy, propriété d’Alibaba, a noué un partenariat avec la compagnie norvégienne de ferry Hurtigruten dans l’optique de lancer des croisières exclusivement chinoises en Antarctique. A l’opposé complet de la route de la soie arctique donc, mais l’investissement chinois se fait lui bien dans une entreprise norvégienne spécialiste du transport dans le grand nord et le froid extrême.
The Thing, 1982. Même Kurt Russel ne peut trouver sous quelles formes se dissimulent les investissements chinois en Arctique.
La Laponie fut par exemple une des premières étapes de cette poussée chinoise, générant de nombreux profits pour les locaux ( un milliards d’euros en 2018) mais également la peur d’une invasion touristique qui pourrait dénaturer la région. Le nombre de visiteurs venus de Chine est en effet passé de 10 000 en 2015 à 45 000 en 2018.
 Sur le territoire de l’extrême-Nord russe le nombre de touristes chinois a augmenté de 400% de 2016 à 2017. Le parc national arctique russe ayant été visité par 1 142 personnes de 36 nationalités dont 209 chinois. Une hausse de 20% par rapport à 2016. Sur les cinq croisières à bord de brise-glace de 2017, 80% des passagers étaient chinois. Le prix du billet pour de telles croisières peut atteindre 40 000 dollars.

Antonov 74 destination Barnéo

Le South China Morning Post nous permet d’imaginer à quoi peuvent ressembler des vacances arctiques dans cet excellent article.   

On y suit Mr Zhang qui après avoir fait le pôle sud, l’Australie, Dubaï et l’Alaska, se fait un nouveau trip au milieu des ours polaires. Mr Zhang a même emmené avec lui son drone qu’il pilote depuis l’hélicoptère russe qui le transporte à destination de Barnéo. Ils embarqueront ensuite sur un Antonov 74, merveille aéronautique capable d’évoluer autant en Amazonie qu’en Arctique.
 Au grand soulagement des pilotes russes, les moteurs du drone ne survivront pas au froid. Evitant ainsi d'entrer en collision avec les hélicoptères.
 Barnéo est une base temporaire nommé ainsi par humour en référence à Bornéo, autrement plus chaud. C’est une étape obligée vers le pôle nord.
Pour ce genre de voyage, un tiers des places sont réservées par des chinois. Compte tenu des réquisitions en matériel et en hommes, il faut s’inscrire sur une liste d’attente si l’on veut en faire partie.
Ainsi l'on voit de quelle façon la Chine s'assure non seulement une percée financière sur un territoire clé pour les relations géopolitiques à venir, mais également comment elle réussit à y introduire une présence humaine importante.



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